LA PEAU DU TIGRE
Au printemps, j'ai eu un coup de foudre pour un tapis de la collection persane de Fragonard. Ca pourrait être banal. Mais je ne suis pas de nature impulsive et j'ai tendance à considérer les tapis comme des "ramasse-poussière".
Alors je regarde le tapis et, sur des tas de considérations raisonnables, je passe ma route. Et le tigre me hante, il me reste dans la tête, il m'appelle et il sait même où est sa place : dans mon cabinet de consultation de thérapeute. Il se défend si bien que deux jours plus tard, il est sous mon bras. Et satisfaite de mon achat, je pensais en rester là.
Puis vient le stage Gestalt et médias créateurs, mêlant travail thérapeutique et travail artistique, dont le thème était "Cycles et lignes de vie" et pour lequel la seule création envisageable pour moi était de faire ma propre peau de tigre. Cette obsession ne m'a pas inquiétée car j'ai souvent affaire à ce phénomène d'agressivité saine qui consiste à détruire quelque chose pour le reconstruire à ma façon, me le réapproprier pleinement, comme un petit enfant qui va mâcher la nourriture (la détruire) pour pouvoir l'avaler (la digérer). J'avais donc besoin de passer mon tigre tapis à la moulinette pour l'intégrer.
Ah ah n'allez pas penser que j'ai taillé mon beau tapis en pièce, que nenni ! Tout cela est purement symbolique. Juste avant le départ pour l'Ardèche, j'ai mis un drap et des boutons qui appartenaient à ma grand-mère, quelques bout de tissus qui me restaient du projet ANTRE, une tunique rouge délavée, des fils et des aiguilles et quelques babioles dans un sac. J'ai travaillé dur et à la fin des 5 jours du stage, j'avais fini mon tigre. La tunique rouge a servi de base, sa matière un peu épaisse comme le tissu molettonné d'un jogging avec la consistance de la peau. Un régal !
J'ai découvert par la suite que ce tapis pour lequel j'avais craqué était une impression sur tissu d'un tapis tibétain. Autrefois, les sages orientaux s'asseyaient sur des peaux de tigre pour écouter et rendre sagesse. Je pensais à nouveau en avoir terminé puis, lorsque j'ai cherché à donner un nom à mes ateliers créatifs pour les différencier d'un atelier de loisirs créatifs, c'est MARCHER SUR LA QUEUE DU TIGRE qui m'est venu spontanèment. J'ai travaillé une illustration de peau de tigre cette fois pour accompagner mes flyers d'art-thérapeute.
Voilà l'histoire d'un processus créatif. Je ne sais pas encore s'il est allé jusqu'au bout, s'il reste encore des moustaches ou des oreilles à tirer. Je sais par contre qu'un jeune migrant, ayant participé à l'un de mes ateliers, a marqué mon coeur de son dessin qui racontait l'histoire déchirante d'un lion traqué comme lui-même l'avait été par les gendarmes dans la montagne.